Pour ce deuxième chapitre du dossier consacré à l’analyse de cycle de vie (ACV) menée par MEDIAPOSTE et La Poste, La Revue Du Prospectus est allée à la rencontre de Marcial Vargas-Gonzalez. Senior Consultant chez Quantis International, c’est lui qui a piloté cette étude. Il a accepté d’aller un peu plus loin que les seuls résultats chiffrés.
La Revue du Prospectus : qu’est-ce qu’une l’analyse de cycle de vie ?
Marcial Vargas-Gonzalez : C’est une méthode d’évaluation des impacts environnementaux d’un service ou d’un produit, tout au long du fil de son existence. Ils sont au nombre de seize [NDLR : voir article « une ACV pour prendre des décisions éclairées »]. De sa conception à sa fin de vie ou valorisation en passant par la fabrication, l’ACV évalue la quantité d’énergie et de matières nécessaires à chaque étape de vie du produit, pour en tirer des conclusions environnementales. Je précise que cet exercice est normé internationalement, c’est à dire que nous travaillons en respectant des standards utilisés partout dans le monde.
LRDP : elle mesure la nature des impacts, mais qu’en est-il du degré de ces impacts ?
MVG : Vous pointez un aspect important. Le développement durable, en effet, est une science relative. On peut faire « mieux » mais on ne fait pas « bien ». C’est pour cela qu’il faut tenir compte de l’impact d’un produit ou service face à des enjeux globaux. D’ailleurs, on compare souvent les émissions carbone de produits ou de services, à un certain nombre d’allers-retours Paris-New-York.
LRDP : justement, parmi ces seize impacts, certains sont-ils plus importants que d’autres ?
MVG : Oui, nous savons que le dérèglement climatique est le principal impact aujourd’hui. Par exemple, sur la biodiversité, il pèse beaucoup plus que les radiations ionisantes. Je précise tout de même que si certains experts proposent de hiérarchiser les impacts au niveau européen, cette méthodologie ne figure pas encore dans la norme ISO.
LRDP : que faut-il retenir en priorité des résultats ?
MVG : Dans les deux scénarios étudiés, le résultat est le même : la campagne d’imprimés publicitaires est plus favorable à l’environnement que la campagne numérique. Chaque fois avec un « score » de 15 indicateurs sur 16. Le tout dans des proportions importantes : dans le premier scenario, on parle de sept fois plus ! Ces résultats peuvent cependant varier en fonction du contexte. Le seul indicateur où le numérique est mieux noté, dans les deux scénarios est finalement l’utilisation des sols.
LRDP : vous connaissez bien les ACV, avez-vous été surpris à la lecture de ces résultats ?
MVG : En effet, j’ai conduit plus d’une centaine d’ACV. À ma connaissance, il n’avait jamais été fait de comparatif entre supports marketing. En général, ces études portent plus sur la production de biens. Nous n’avions donc pas de référentiel de comparaison entre les prospectus et leur équivalent numérique. Personnellement, j’avais dans l’idée que digital était meilleur que le papier. Les résultats que nous avons produits sont plus… nuancés !
LRDP : s’agissant du papier, le principal impact est « utilisation des sols ». Pouvez-vous expliciter ce critère ?
MVG : Ce critère mesure la pression que représente l’occupation et la transformation des sols, notamment sur la biodiversité. N’oublions pas que nous occupons de plus en plus d’espace sur terre. Plus la surface occupée est grande, plus l’impact est fort. Sur la comparaison que nous avons menée, le numérique demande moins de surface que le papier, qui demande des forêts pour sa matière première [1].
LRDP : mais justement, on parle bien de forêts ? Pas de bâtiments ou de routes !
MVG : Tout à fait, mais les forêts cultivées empiètent sur un espace sauvage. Je vous concède que ce critère peut manquer de nuance et, qu’une forêt cultivée, c’est toujours mieux qu’une monoculture arable. Mais ce n’est pas, ou plus, une forêt primaire.
LRDP : les scénarios retenus pour cette ACV sont-ils vraiment objectifs ?
MVG : Quantis n’a pas l’expertise marketing pour juger de ce point. Nous avons donc fait confiance à La Poste et MEDIAPOSTE sur la représentativité des cas étudiés. Nous nous sommes aussi reposés sur les experts qui ont assuré la revue critique.
La revue critique externe est très importante. Elle garantit la qualité scientifique et technique de l’étude. L’ACV de MEDIAPOSTE a été faite au fil de l’eau, car il existait beaucoup de variables qu’il était important d’aiguiller au fur et à mesure. Je salue ici la qualité de nos trois experts indépendants qui ont mené cette revue : Philippe Osset, représentant de la France auprès de la norme ISO, qui s’est assuré que tout était correct au niveau de notre analyse. Julie Orgelet, experte numérique. Et Frédéric Guillet, expert papier. L’équilibre entre les deux secteurs a donc été respecté !
Dernier point, comme je l’ai déjà indiqué, les conclusions tirées par l’ACV sont valables sur les scénarios étudiés.
LRDP : selon vous, que doit faire MEDIAPOSTE de cette ACV ? S’en servir contre ses « opposants », ou chercher à améliorer sa performance environnementale ?
MVG : Je tiens à rappeler que l’étude ne dit pas « le papier est mieux que le numérique ». Je ne recommanderais donc pas d’utiliser les résultats comme un argument anti-opposition. D’ailleurs, je ne crois pas que ce soit dans les intentions de MEDIAPOSTE, qui prône la complémentarité des médias. Il faut voir cette ACV comme un outil de pilotage, qui permet de savoir où et comment réduire les impacts sur chaque solution de communication.
N’oublions pas que dans le numérique, il existe une importante marge de progrès. Par exemple, le taux de 1 % d’ouverture des e-mails révèle un problème de qualification de bases de données. Imaginons par exemple que l’on arrive à un taux de 10 % d’ouverture avec des corrections. On divise par un facteur 10. Imaginez les conséquences positives sur l’ACV ! C’est aussi vrai dans le prospectus ou le taux de lecture peut être amélioré dans une fourchette comprise en 20 et 30 %. Les choses peuvent bouger dans des proportions non négligeables.
LRDP : cela veut dire que cette ACV doit être mise à jour tous les ans pour rester pertinente ?
MVG : Non, il n’est pas utile de refaire la même étude tous les ans, ou tous les deux ans. Il est intéressant de le faire en cas de modifications importantes. C’est l’exemple que je vous citais dans votre précédente question. En fait, l’ACV validera, ou pas, l’efficacité des changements structurels effectués.
Propos recueillis en octobre 2020
Marcial Vargas-Gonzales, le « sustainability globe-trotter » de QuantisIngénieur diplômé de l’École Nationale Supérieure de Chimie de Montpellier, Marcial Vargas-Gonzalez est né au Costa Rica. Un pays réputé pour la richesse de sa biodiversité. « Entouré d’une nature luxueuse, j’ai cru en des politiques environnementales fortes. Du point de vue d’un petit pays, il semblait que le monde avait de grands problèmes à régler, mais que les choses allaient dans le bon sens » se souvient-t-il. Sa carrière l’a conduit à comprendre quelles étaient les préoccupations environnementales des entreprises et s’est tourné vers des « solutions réalisables ». Raison pour laquelle il a rejoint Quantis en 2014. « En seulement quelques années, j’ai formé et soutenu plus d’une centaine de clients et de collègues, en leur apprenant comment ils pouvaient être un vecteur de changement, tout en créant de la valeur. Mon principe directeur est qu’un esprit de coopération, une discussion authentique et un recours à la science et aux faits mènent, à la prise de décisions éclairées ». |
Vous souhaitez en savoir plus sur l’ACV ? Écoutez l’interview de Marcial Vargas-Gonzales au micro de Papier Frappé, le podcast de La Revue du Prospectus.
[1] NDLR : Le bois utilisé pour la fabrication de fibres vierges de papier, est issu pour les 3/4 de coupes d’éclaircies nécessaires à la croissance des forêts (élimination des arbres chétifs qui permet de donner la place aux arbres sains) et des chutes des activités de sciage pour à peu près 1/4.